Saïd Ben Ali nous livre une comédie classique revisitée,
en miroir de notre époque.
Photos de Mejdoub El Ghiwane
Jeudi 26 mai 2022
(Voici un peu plus qu’un résumé)
Tout commence par un générique d’émission télé.
Une émission d’investigation. Dans une maison, un crime a été commis. L’auteur nous invite à suivre les derniers instants de chacun des protagonistes avant que le crime ne soit perpétré.
L’auteur, encore lui, par quelques bribes régulièrement distillées, nous informe de l’évolution de l’enquête… et nous comprenons vite que la rumeur, que les conclusions de la police et la “finesse d’esprit” des enquêteurs, si ridicules et antagonistes soient-elles, ne mobiliseront pas tout notre esprit… oh que non !
Ce qui occupera toute notre attention… c’est lui… JAMEL !
Une barbe de quelques jours, des cheveux sombres doucement ondulés, un peu moins de trente ans, un regard perçant, Jamel est beau gosse. Il plaît aux femmes et il semble l’avoir compris. C’est peu de le dire.
Jamel séduit à tour de bras. La drague, plus qu’un sport, est une véritable drogue pour lui. Le smartphone est son outil de prédilection, son plus fidèle allié. Pour atteindre son but, il se fait passer pour un autre, se lance dans les explications les plus invraisemblables, il ment sciemment dans l’unique but d’obtenir le rendez-vous convoité.
La relation charnelle n’est pas l’objectif absolu, le Graal se trouve davantage pour lui dans l’obtention du sacro-saint rencart. Mais parfois le premier rendez-vous n’est pas à la hauteur des espérances. Jamel se voit alors dans l’obligation de solliciter un deuxième tour, un second rendez-vous, pour aller plus loin.
C’est ce qu’il se passe avec Sylvie la croqueuse d’hommes. A l’issue de leur première piètre badinerie, Jamel obtient la promesse d’une nouvelle opportunité, un golden-ticket pour un repas torride chez la séduisante femme d’affaires.
Tandis que Jamel s’en va, soulagé d’avoir obtenu sa deuxième chance, Sylvie en profite pour passer un intriguant coup de fil furtif…
Au fur et à mesure du déroulement de la pièce, les trophées, les conquêtes se multiplient, le tableau de chasse s’étoffe. Une fois l’amour se présente sur un plateau, comme un fruit qui ne demande qu’à être cueilli mais, sans nécessité de se battre, Jamel n’y trouve pas son plaisir et hésite à croquer dans la pomme…
Parallèlement aux performances hors normes de notre Don Juan, quelque chose semble se tramer. Le coup de fil reste dans nos mémoires mais nous n’en saurons pas plus pour le moment.
Lassé de le voir courir tous les jupons qui passent, le meilleur ami de Jamel lui avoue ses sentiments. Sentiments qu’il lui porte et ce… depuis plus de trente ans !
Rien que ça ! Notre (anti-)héros tombe des nues… ! Mais Jamel est toujours prêt à rebondir et à prendre le meilleur parti, il fait le point.
Il pèse le pour et le contre… Il doit bien reconnaître qu’il a été emporté dans cet engrenage séductif incessant et qu’il ne s’y retrouve plus. Il en vient à philosopher. L’amour, le vrai, celui qui le guérirait de cette obsession, celui qui balaierait d’un coup toutes les amourettes passées, semble effectivement introuvable pour le moment. En tout cas dans la voie qu’il a choisie.
Et si cet amour absolu et tant convoité se trouvait, finalement, de l’autre côté du genre? Mais oui… pourquoi pas ? Sur ces errements, le séducteur se laisse surprendre.
Pourtant, dès le lendemain, Don Jamel renaît de ses cendres et sans plus attendre, il se rend chez Sylvie.
Ce dernier tableau vous évoquera sans nul doute une célèbre oeuvre de Léonard…
Non non il n’y avait pas d’erreur dans le titre 😉 .
C’est assez inédit mais l’auteur est là, il est sur les planches et il n’a pas sa langue en poche !
Saïd Ben Ali est un auteur que l’on apprécie pour sa proximité, sa relation avec le public, et pour son écriture inspirée, adaptée, ciselée pour chaque personnage. De douces caricatures teintées d’humour bienveillant.
Saïd et Ludovic Philips (le metteur en scène) créent des liens entre les différents tableaux avec un subtile comique de répétition qui instaure au fur et à mesure une connivence avec le public. C’est Saïd lui-même qui prend la parole lors des changements. Ludovic Philips imprime également un rythme à la succession des scènes (un peu comme une valse imaginaire) mais également à chaque séquence proprement dite (nous dirions que cela va de la musique classique au hip-hop en passant par le rock), un peu comme dans notre vie de tous les jours et les rencontres qui la font rebondir.
Don Jamel est à la fois une chronique, une émission d’investigation, une critique et une sorte de chemin de croix inattendu, un peu inversé.
Tout cela en même temps. La pièce est polymorphe et cela colle parfaitement à la collection de personnages qui vivent en direct, devant nous, cette tragi-comédie.
Saïd Ben Ali, l’auteur de la pièce de théâtre Don Jamel nous avait accordé une interview en deux questions (Deux questions à…).
Vous pouvez la retrouver soit sur Spotify, soit sur YouTube.
Les victimes de notre séducteur composent donc un panel subtil de caricatures à peine poussées. Plusieurs religions, plusieurs “classes sociales”, plusieurs professions.
Saïd Ben Ali verse avec tact dans l’humour. Il souligne nos comportements trop standardisés, nos déformations sociétales ou nos jugements à l’emporte-pièce qui, avec le recul, apparaissent, pour bonne partie, comme profondément ridicules (et non, il n’y a pas que la police qui en prend pour son grade… nous aussi).
Dans la galaxie majoritairement féminine de Jamel, on découvre en premier lieu Nora, jouée par Ynes Ben Saad, l’officielle, du moins c’est ce qu’elle pensait… jusqu’à ce que sa bonne amie l’ésotérique et yogiste Martha, jouée par Véronique Patte, lui révèle bien malgré elle le vrai visage de Don Jamel, incarné par Jérôme Hauptman.
Jamel croisera ensuite le chemin de Sylvie, l’éternelle insatisfaite machiavélique interprétée par Marie Depret. Au détour d’une belle terrasse, une bombe apparaît. Nous faisons connaissance avec Kaïra, la barakie, campée par Harmonie Rouffiange.
Insatiable Jamel entretient également une longue relation virtuelle et téléphonique avec la pieuse Fatima Zohra, jouée par Fatiha El Amri qu’il ne respecte pas plus que ses dulcinées de chair et de sang.
Un peu poussé par ses amis Jamel se rend chez la psy, jouée par Naima Jamai. Il est, en effet, plus que temps qu’il prenne conscience de ses actes… enfin s’il se laisse analyser, ce qui n’est pas gagné. Sur la route de retour, il heurte Cindy, la joggeuse interprétée par Camille Mathoulin.
Enfin après 2 semaines d’errance séductrice, Jamel rentre quelques heures chez lui. Il y retrouve son ami de trente ans, Joachim alias Jean-François Chefneux.
Don Jamel alias Jérôme Hauptman était venu nous raconter son parcours dans notre podcast en deux questions (Deux questions à…) mais également de la pièce qu’il a écrite « Mariés sur le tarmac » .
Vous pouvez le retrouver soit sur Spotify, soit sur YouTube.
Don Jamel est une contre-épopée magistrale savamment orchestrée par de talentueux solistes.
Une chronique contemporaine à peine forcée qui nous parle des approches et des relations amoureuses.
Des tableaux successifs et chronologiques hyper vivants qui dépeignent un machisme outrancier qui ne devrait plus être l’ordinaire de notre société.
A voir et à méditer.
La pièce sera en représentation à Bruxelles et en Wallonie, peut-être bientôt en France !