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| Audry Hantson

BIG AIR SHOUGANG – Nicolas Godelet Architecte – JO Pékin 2022

Nicolas Godelet, Architecte et ingénieur de la rampe de saut à ski pour le sport BIG AIR à SHOUGANG. Pékin 2022.

Début mars 2022, Pick Keobandith pour Target Global / Inspiring Culture et Audry Hantson pour Little Tower Podcasts rencontrent l’architecte et ingénieur Nicolas Godelet.

Nicolas Godelet et son agence NG-LAB ont imaginé avec l’équipe de Teamminus la rampe de saut à ski « Big Air Shougang ».

Pick et Audry se sont intéressés non seulement à l’histoire de ce projet mais également à l’histoire de Nicolas et de son bureau d’architecture.

Quand le jeune Nicolas se lance-t-il à l’assaut de la Chine ?

Nicolas Godelet, Architecte :

“La Chine est, pour moi, un des plus beaux pays du monde”

Depuis que j’ai 15 ans, je voyage beaucoup. J’ai voyagé en Europe, en Afrique du Nord, en Laponie. J’ai aussi vécu un peu en Inde. J’ai traversé l’Himalaya quand j’avais 17-18 ans… Plus j’avançais en âge, plus j’avais envie de trouver des lieux sauvages où peu de monde avait eu accès. 

A 20 ans j’ai découvert la Chine de l’ouest, le plateau du Pamir et les Karakorums. Je me suis dit que c’est là que je voulais aller. C’est l’endroit le plus éloigné de toutes les mers du monde. Il n’y avait pas de transports en commun, aucun train pour y arriver directement. Je devais passer par Pékin. J’ai décidé de prendre le billet pour la capitale chinoise et d’étudier le chinois pendant un an. Et, avoir vu la Chine, ses géographies, ses territoires, sa nature mais aussi la diversité de sa population, la richesse de son histoire, tout cela m’a passionné et m’a poussé à continuer l’étude non seulement de la Chine, mais aussi de la langue, au travers de la Chine ancienne. Je me suis lancé dans des études particulières sur les Jia Gu Wen (ossécaille) qui sont les caractères anciens sur carapace et os. Ils m’ont permis en fait de comprendre les racines de l’architecture chinoise en revenant 3 à 4 mille ans en arrière.

Pick Kéobandith :

Nicolas tu as eu l’honneur d’allumer la vasque des Jeux Olympiques 2008 avec le maire de Pékin. Le fait est unique pour un jeune belge. Aujourd’hui, tu fais encore plus fort. Avec l’équipe d’architectes de Teamminus vous avez réalisé une des plus significatives et une des plus belles rampes de ski au monde, le “Big Air Shougang” des Jeux Olympiques d’hiver 2022 de Pékin. 

Pourquoi le site industriel de Shougang a été choisi pour installer deux tremplins de saut à skis pour les jeux olympiques d’hiver 2022 ?

Nicolas Godelet, Architecte :

Je pense que la réponse est multiple. La plupart des sports organisés pour les jeux d’hiver se trouvent en altitude sur trois sites différents. Un des sites se trouve même littéralement en pleine montagne, mais parallèlement, il y avait également une volonté de pouvoir réutiliser des infrastructures en ville.

Le big air est un sport un peu particulier car il est jeune et il est pratiqué par des jeunes qui ont entre 14 et 30 ans, à peu près. Le site déjà existant du stade du “Nid d’oiseau” des architectes Herzog & de Meuron ne se prêtait pas à la pratique de ce type de sport. La localité de Shougang, également proche de Pékin, s’est alors imposée d’une manière assez naturelle. Il s’agit d’une vieille aciérie qui était déjà en pleine réaffectation, revitalisation. 

Le  BOCOG, le comité olympique chinois, était déjà installé sur place dans un bâtiment rénové. Il avait remporté quelques récompenses architecturales pour la réaffectation et le côté écologique de celle-ci. J’étais le seul étranger à participer à ce projet de revitalisation depuis le début. Le seul belge à réfléchir et travailler sur ce site industriel depuis déjà quelques années. Par ailleurs, je suis moi-même snowboardeur, j’ai alors fait tout mon possible pour que le comité olympique décide d’installer le big air à Shougang. Il s’agit d’un site industriel, certes, mais il est très accessible : 5 yuans RMB pour y arriver depuis Pékin. Autant dire rien du tout, un jet de pierre. Ensuite, il avait un intérêt, une valeur de symbole très importante pour la régénération urbaine, la régénération industrielle, l’écologie urbaine et pour donner à ce nouveau sport, un stade permanent. En effet, jusqu’à maintenant, les big airs étaient des structures temporaires. Nous avons donc réalisé quelque chose qui n’avait jamais été fait auparavant, un stade permanent pour ce sport.

Pick Kéobandith :

Comment avez-vous abordé la création de cet équipement si différent des autres constructions architecturales ?

Nicolas Godelet, Architecte :

Tout d’abord tout travail d’architecture ou de structure, d’infrastructure est un travail collaboratif. Il y a toujours un “maître de cérémonie” mais en fait, c’est un travail d’équipe.

Par ailleurs, la mission de l’architecte est de servir une société, donc de servir les lieux publics, la ou les communautés, les institutions, son bon fonctionnement. C’est-à-dire qu’il doit être au service d’un environnement naturel et construit. Nous devions prendre tout cela en compte.

Ensuite, la façon dont il travaille doit être en accord également avec une philosophie durable. Chose que j’espère atteindre tout doucement avec l’âge (rires). En tout cas, je pense que “l’égocentrisme du style”, la volonté de marquer un style ou d’avoir son “propre” style reconnaissable… tout ça je pense que c’est dépassé. 

C’est, pour moi, une philosophie du XXème siècle qui ne peut plus exister. 

C’est pour ça que notre architecture, celle de mon agence NG-LAB par exemple, n’a pas de style. C’est une sorte de stratégie de travail : ne pas chercher une esthétique gratuite, “rapportée”. Au contraire, nous cherchons en permanence l’harmonie avec un lieu et un temps, un lieu particulier local. Nous respectons la philosophie du Feng-Shui. Le plus important reste donc le service, la responsabilité que l’architecte doit avoir vis-à-vis d’une société et de l’environnement. Une forme de justesse de la réponse que nous nous sommes employés à garder à l’esprit et à essayer de concrétiser. 

Dans ce sens, pour ce projet nous sommes donc des architectes, des ingénieurs, mais aussi des éclairagistes, des météorologistes… nous avons du faire des études de vent, de balistique. C’est un travail très complexe. Il a fallu créer l’équipe pour ce projet et nous avons dû travailler à la fois avec des ingénieurs étrangers, des équipes chinoises, des équipes belges, françaises, suisses, italiennes… nous avons formé une équipe profondément internationale et multidisciplinaire.

« Personnellement, j’ai travaillé pour que le pour que ce projet puisse exister car ce type d’installation il n’avait jamais été créé auparavant. « 

Cela n’avait jamais été réalisé. Il y avait donc énormément de nouvelles normes de sécurité à étudier, à mettre en œuvre, à instaurer même.

Finalement, la question omniprésente était : Comment créer la meilleure piste pour qu’elle puisse perdurer dans le temps avec un sport qui puisse encore évoluer ?

Pick Kéobandith :

Avez vous intégré des éléments culturels chinois ou européens ?

Nicolas Godelet, Architecte :

Oui, en quelque sorte. Une évocation de l’identité chinoise a été imprimée dans le projet.  Elle vient en fait de mon collaborateur Zhang Li, professeur à l’université de Tsinghua à Pékin, directeur de la faculté d’architecture.

Il a imaginé un bandeau de couleur tel une écharpe. Bien que fonctionnel, il a voulu que cet élément soit léger. Au design en harmonie avec les lieux. Il s’inspire en fait des apsaras. Une apsara est une sorte de déesse qu’on retrouve dans les grottes de Tou Ghang, en Chine. C’est une figuration de la légèreté, de la féminité, de la souplesse. Ce qui  est intéressant dans dans l’acte de ce ruban flottant, c’est que ce n’est pas seulement esthétique (nous en parlions tout à l’heure, nous ne voulons pas d’esthétique gratuite) :  c’est un ruban qui a plusieurs fonctions. Il est à la fois essentiel au projet et il lui donne toutes ses couleurs. 

Ce ruban lumineux fait exister la rampe pendant la nuit mais il constitue aussi une protection pour les athlètes. Lorsqu’ils font leur saut, il agit comme une protection, une sorte de filet sur les côtés. C’est aussi un coupe-vent, une structure, une plaque micro-perforé qui permet de freiner le vent. Cela évite de déranger les athlètes quand ils sont en concentration et en train de descendre à toute allure à 70 km/h. Ils ne doivent pas être dérangés par le vent et donc cette sorte d’apsara est à la fois esthétique mais aussi fonctionnelle. 

Pick Kéobandith :

Le Big Air Shougang sera-t-il une construction permanente, définitive ?

Nicolas Godelet, Architecte :

Tout à fait, comme je le disais plus avant, il s’agit de la première structure permanente dédiée à ce sport. 

Jusqu’alors, toutes les structures de big air qui ont été construites étaient réalisées avec des échafaudages. Des constructions non pérennes, temporaires, très peu sécurisées et inconfortables pour les athlètes. Le Big Air Shougang, c’est une sorte d’hommage aux athlètes de ce sport. Ils ont été tous été enchantés de pouvoir profiter d’une rampe comme celle-là : pérenne, à demeure. Pour eux c’est un des plus grands honneurs que l’on pouvait leur faire. 

Ce qui est le plus important c’est que cette rampe et son utilisation vont perdurer. Elle sera utilisée au cours des quatre saisons, que ce soit en été, en hiver, ou encore en automne et pour plusieurs sports différents. 

C’est une structure modulable. On va pouvoir l’utiliser, bien sûr, pendant l’hiver pour le big air. Pour le même sport, on va pouvoir l’utiliser l’été avec ce qu’on appelle des airbags. Mine de rien, c’est quand même un sport dangereux : les airbags permettent de limiter voire d’annuler les risques. Cela permettra aux jeunes de s’entraîner de manière presque illimitée. Il peut être utilisé aussi pour un autre sport qui s’appelle l’aerials. C’est-à-dire le saut en hauteur acrobatique qui se fait généralement à ski. 

Il peut aussi très facilement et rapidement se transformer en un toboggan de descente pendant l’été pour faire de la descente à ski sur de l’herbe, pour une descente en tyrolienne sur 200 m, pour des concerts, etc. 

Je pense qu’on va attirer de plus en plus de chinois surtout à cause de la victoire de Gu Ailing (Eileen Gu)  qui a donné du boost à ce sport.

Au final, c’est une infrastructure d’un nouveau genre, qui va permettre au site de survivre et d’être rentable. Je pense, d’ailleurs, que la dimension économique ne peut pas être être oubliée, et ce de manière générale dans les projets d’architecture.

Pick Kéobandith :

Quand repars-tu ? Sur quoi travailles-tu ? As-tu d’autres projets en ce moment ? 

Nicolas Godelet, Architecte :

Oui. Comme je suis en Belgique pour le moment, je travaille à la fois en Belgique et à la fois en France sur des passerelles. Je suis en contact avec la Hollande : je réfléchis sur le nouveau pavillon belge qui sera un pavillon régénérable. Quelque chose de tout à fait unique… 

J’espère pouvoir retourner en Chine après les Paralympiques en espérant que les problèmes de quarantaine et d’accès au pays vont être facilités. J’essaie de maintenir  l’équipe de mon agence NG-LAB la plus flexible possible et de travailler avec un maximum de pays différents, dont Taïwan, la Chine ou le Japon.

Il ne faut pas oublier que la prochaine exposition internationale d’architecturé se fera à Osaka en 2025 et je pense que nous avons des choses intéressantes à proposer pour cet événement…

Podcast et vidéo bientôt en ligne.

Merci à Nicolas Godelet, son équipe.

Merci à Pick Keobandith.